Pic et pic et colegram

« Pic et pic et colegram,
I..Bour et bour et ratatam,
I..Am, stram, gram… »

Noël 67, on déménage. Entre deux rangées de cartons, le sapin brille des nouveaux cadeaux… À la hâte, on chante « oh ! tannembaum » (mon beau sapin) et c'est la découverte des jouets… Les patins à ressort, la balle en apesanteur, la parure navajo et… Le premier magnétophone ! On enregistre Grand-mère qui réécoute sa voix… D'un sourire angélique nous dit que ce n'est pas elle. On ne sait plus qui croire !… Certains disent que bientôt, on va marcher sur la lune, on rêve de Mélies en astronaute !… On est le 22 mars et bientôt mai…

Dans l'attente du grand soir des derniers jeux des dernières vacances des dernières récrées… Adieu bombes à eaux, billes balles bulles de savon, l'imagination est au pouvoir, dans la juste visé du lance-pierre, dernier vestige de l'enfance.

Main dans la main, et très religieusement maman et moi remontons la rue de l'Odéon. Tout à coup, je les vois… Tout là-haut… Au plus près du ciel, sur le toit de l'Agora… : les papillons du soleil levant, grand comme les soldats de plomb dans la vitrine de papa. Les banderoles colorées soufflent un nouvel an chinois. Sur l'une d'elles, je lis : « …Illimitée… ». J'entends une voix sourde et inquiète : « Ils sont fous : ils veulent abolir le temps, l'usure, la mort !… ». Dans la nuit, les fusées s'élèvent vers des spleens étoilés, les comètes enflammées crèvent le ciel de la mélancolie.

Nous, on a neuf ans : l'âge de soutenir les grands ! On le fait dans l'allégresse des planches à roulettes : glissades au soleil, le long des trombes d'eau, sous l'œil protecteur du grand taureau. De plus belles vacances : jamais rêvées ! « C'est l'heure du grand midi, l'heure des ice cream ! ».

Septembre 70 : entré au collège. Sur le plateau du 6^e étage cerclé de grillage, la ritournelle des moineaux tourne au son des balles de ping-pong :

« …Not to touch the earth
aaaaTurn to see the sun
aaaaRun run run… »

Classe terminale, 7^e station, terminus de l'omnibus… Notre professeur de philosophie veut à tout jamais nous laver de nos préjugés. Sa maïeutique à l'eau de javel ne suffit pas à nous faire décrocher du flipper du café d'à côté : flip flap flip : la balle brille. On en sort les poches vides, la tête aussi. On passe le bac, sans rattrapage… Ouf… Et c'est l'été indien, les parfums de l'eden !… Les coiffes iroquoises roses vertes jaunes s'épanouissent sous le soleil des néons. « cool as ice » s'inscrit au dos des tee-shirts fluo… Magie de papaguenno…

              Hop…
                		   Petit cheval…
                						   Arrêt !

Dans la nuit silencieuse de ma chambre noire, la toupie phosphorescente tourne, ma main l'effleure et la ritournelle s'achève vers un profond sommeil.