Art dans les chapelles.  "Diaphane plume rose d'une aurore"

Photos :  Stéphane Cuisset

L'enfant et les sortilèges


Petits, Petits, des objets tout petits, petits modules, triangles, boules, socles et tiges colorées, petits objets colorés de rose, vert, bleue, orange, mauve… Petits objets multicolores dans la gamme de couleurs des objets d'aujourd'hui, en couleurs tendres de jouets pour enfants, dans la douceur voulue Walt Disney plus jeux d'éveils en coloriage, passe d'une forme à l'autre, en petites notes, trilles colorées dans l'espace, d'un cylindre rouge à une boule jaune à une tige verte alternée jaune à équerre verte sur un rectangle bleue est un monde irréel dans l'acidulé du conte de fée, l'éblouissement de l'enfant à la fête foraine où la gamme colorée n'est pas une nostalgie mais une manière de faire abstraction, forme une abstraction dans la référence aux hétérotopies festives et magiques des lieux de l'enfance, ceux de l'ultra coloré, sans noir, ni blanc, ni gris, totalement irréels donc, encore une fois, abstraits.


Élémentaires, des formes simples : rectangles, cercles, cônes, cylindres, parallélépipèdes, tiges… Tout un monde de formes abstraites, tirées du grand vocabulaire de l'abstraction historique, mais rendues, par les couleurs, à une dimension ludique et à l'enfance, sans la grandiloquence qui a marqué ces avant-gardes, donc formes simples mélangées à certaines référentielles : ligne de bouées, fanions et toupies… Un monde de formes déjà vues, en rien exceptionnelles évoquant des équipements ludiques de jardins, des jouets ou bien maquettes comme un monde en réduction à l'échelle inadaptée ou bien objets bien définis, ready-made peinturlurés, infantilisés : brosses de balais, chaises, planchettes… Le tout en assemblage hétéroclite, du banal au plus magique, du trivial au singulier où la forme porte la couleur et la couleur détourne la forme, transforme en objets purement formels.


Les objets donc en assez simples sinon la perfection des courbes, des arrondis, la qualité d'une ligne mais en rien trop complexe, en rien une révolution sculpturale car ce qui compte plus est l'installation, la mise ensemble des éléments, leurs agencements et leurs rapports comme François Schmitt travaille avec un réservoir de pièces, prends des pièces, les arrange, détruit l'assemblage, les réarrange pour quelque chose toujours nouveau, nouveaux rapports et relations, dissémination des choses de rien parfois à peine visible parsemant l'espace, murs, sol, rangements, armoires, bords de fenêtres… ponctuant partout, éclatant dans l'espace en notes multiples, dans la profusion hétérogène, un désordre, son faux-semblant, dans des relations locales d'un objet à l'autre, d'une forme à l'autre, d'une couleur à l'autre, en Jérôme Bosch sculptural sans pathos ou prédomine le déséquilibre, le basculement et le roulement.


Le tout dans la plus grande légèreté, en rien démonstratif, avec peu, pas grand chose, dans des dispositifs qui ne tiennent qu'à un fil, que l'on pourrait fouler du pied, écrabouiller, bousculer… Petit théâtre ludique évoquant une projection dans l'espace des formes des dernières œuvres de Kandinsky ou une abstraction du cirque de Calder, dans la précision que nécessitent les formats réduits des éléments pour qu'ils puissent exister au sein de cette multiplicité, jouer leurs rôles dans ces dispositifs complexes, précision qu'évoquait Italo Calvino à propos de la légèreté : « Pour moi, la légèreté est liée à la précision et la détermination, nullement au vague et l'aléatoire. Comme disait Paul Valéry : "il faut être léger comme l'oiseau, et non comme la plume." »


Eric Suchère

Texte paru dans le catalogue de la 19e édition de l'art dans les chapelles (Pontivy)

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